Le mot "papier" vient de "papyrus", le nom commun de la plante Cyperus papyrus. C'est une plante herbacée mesurant 3 à 5 mètres de hauteur, qui se propage rapidement grâce à de longs rhizomes souterrains. Sa tige, de section triangulaire, porte à son sommet une grande ombelle. Elle pousse dans les marais et les zones humides, et elle était commune en Egypte, le long des rives et dans le delta du Nil. Suite à l'endiguement du Nil, elle a presque disparu d'Egypte mais elle reste abondante en Afrique subsaharienne. On la trouve aussi en Sicile, le long du fleuve côtier Ciane (apparemment plutôt un marais que ce qu'on imagine être un fleuve) près de Syracuse, où elle a probablement été introduite au temps de l'antiquité.
Le papyrus
Les premiers papiers ont été fabriqués en Egypte, il y a plus de cinq mille ans, à partir de la tige de papyrus. Il fallait d'abord l'écorcer puis découper la moelle, blanche, dont la consistance ressemble un peu à celle d'une mousse caoutchouteuse, en fines lamelles. Celles-ci étaient martelées et passées au rouleau pour les aplatir, puis laissées à tremper dans de l'eau pendant plusieurs jours. Elles étaient alors disposées de façon entrecroisée, verticalement et horizontalement, sur une peau, puis recouvertes d'une deuxième peau et d'un poids. En séchant, les bandelettes se collaient les unes aux autres grâce à l'amidon présent dans la moelle de la tige, et formaient ainsi une feuille de papyrus. Le papyrus était vendu en rouleaux constitués de feuilles jointes avec une colle à base de farine et d'eau. Le résultat était un support d'écriture solide et très durable lorsque conservé au sec, mais peu résistant à l'humidité.
Durant l'époque romaine, l'Egypte a produit tout le papyrus utilisé dans l'empire. Le papyrus est resté le support d'écriture le plus courant en occident jusqu'au VIIe siècle, lorsqu'il a été peu à peu supplanté par le parchemin.
Le parchemin
Le mot "parchemin" dérive du mot pergamena, peau de Pergame. Ceci parce que, selon Pline l'Ancien, au 2e siècle avant J-C, le roi Eumène II de Pergame, la capitale d'un florissant empire d'Asie mineure (Pergame se nomme aujourd'hui Bergama et est située dans la province d'Izmir, en Turquie), développe le parchemin comme support d'écriture. C'est semble-t-il sa réponse à une interdiction d'exportation de papyrus par le roi égyptien Ptolémée V, qui craignait que la bibliothèque de Pergame ne surpasse celle d'Alexandrie. En Europe, le parchemin n'apparaît qu'au cours du VIIe siècle et son emploi ne commence à se généraliser qu'au siècle suivant. Du IXe au XIVe siècle, le parchemin est cependant le support d'écriture le plus courant en Occident.
Le parchemin est constitué d'une peau d'agneau, chevreau ou veau, spécialement préparée pour servir de support d'écriture. Lorsqu'il provient d'un veau très jeune, il est de qualité supérieure et est appelé vélin. Pour fabriquer du parchemin, il fallait tremper les peaux dans un bain de chaux, les racler ensuite pour les débarasser de tout reste de poil ou de chair, puis les tendre sur un cadre de bois pour les amincir. On égalisait ensuite les deux côtés à la pierre ponce. Le prix du parchemin était très élevé, mais à l'encontre du papyrus, c'était un support très robuste et durable. Il arrivait qu'on le réutilise après effaçage de l'écriture par grattage. Ces parchemins recyclés sont appelés palimpsestes.
Le papier
L'ancêtre de notre papier est une invention chinoise qui date du début de notre ère et qui se répand au Japon et en Asie centrale. Il est fabriqué à partir de fibres de lin ou de chanvre parfois mêlées à d'autres fibres végétales, de chiffons qui sont macérés et fermentés dans de l'eau, chauffés, puis broyés jusqu'à obtention d'une pâte homogène. A cette pâte peuvent être ajoutés différents types de colles qui rendent le papier plus résistant. Le papier est obtenu en filtrant cette suspension de fibres dans de l'eau à travers un tamis tendu sur un cadre dont les dimensions déterminent celles de la feuille de papier. L'eau s'écoule mais les fibres restent sur le tamis et forment une feuille de papier. La feuille est ensuite pressée et séchée. A la fin du VIIe siècle et au début du VIIIe siècle, les Arabes conquièrent l'Asie centrale et gagnent ainsi accès aux secrets de la fabrication du papier. Dès 794 il y a des ateliers de fabrication de papier à Baghdad. Le papier joue un grand rôle dans la dissémination du Coran et l'expansion de l'islam.
Fabriano: un centre d'innovation en matière de papier
Le papier arrive en Europe à partir du XIe siècle, avec les invasions arabes en Sicile et en Espagne. Il est cependant d'abord considéré comme un matériau très inférieur au parchemin car, contenant à l'époque des colles végétales telles que l'amidon de riz, il est souvent détérioré par des larves d'insectes qui s'en nourrissent. Dès le 12e siècle, on fabrique du papier à Fabriano, petit ville italienne de la région des Marches. Les papetiers de Fabriano apportent d'importantes innovations, notamment le remplacement des colles végétales par des colles animales dans la pâte à papier, ce qui rend le papier résistant aux insectes. Ils sont les premiers à utiliser des tamis métalliques et ils inventent le filigrane, une marque correspondant à un amincissement du papier obtenu par la fixation de fils de cuivre dessinant le motif désiré sur le tamis. La marque est ensuite visible lorsqu'on regarde le papier en transparence. Ainsi le premier filigrane connu se trouve sur un papier fabriqué à Fabriano en 1282! Et enfin, ils modifient les moulins pour permettre la transformation du mouvement circulaire en un mouvement alternatif en fixant, sur l'axe du moulin, des "lèves". Ces lames en bois soulèvent à chaque tour de l'axe d'immenses maillets qui retombent ensuite sur les chiffons contenus dans des récipients appelés des piles. Ce système de broyage des chiffons par "piles à maillets" est beaucoup plus efficace que le système de meule utilisé par les Arabes et permet d'améliorer la qualité du papier tout en diminuant son prix.
Des chiffons à la cellulose, et de la feuille de papier au rouleau ininterrompu
Au XIXe siècle, les chiffons se font rares et deviennent chers. On cherche alors à fabriquer du papier à partir de cellulose. En parallèle, on cherche à développer des machines qui puissent produire des rouleaux de papier ininterrompu.
La première machine capable de produire le papier en rouleau est conçue en 1799 par Louis-Nicolas Robert, natif d'Essonnes, en France. Mais c'est à Londres, en 1801, que les premiers prototypes seront fabriqués, grâce à un financement des frères papetiers Sealy et Henry Fourdrinier, d'où le nom de la machine, "machine Fourdrinier". Puis en 1844, deux inventeurs parviennent séparément à fabriquer du papier à partir de cellulose: le canadien Charles Fenerty, dont l'invention passe plus ou moins inaperçue, et l'allemand F.G Keller, qui développe une machine à déchiqueter le bois et dépose un brevet en 1844. N'ayant pas les moyens de commercialiser son invention, il s'associe avec à un autre allemand, le papetier Heinrich Voelter, et les partenaires obtiennent un brevet à leurs deux noms en 1845. F.G. Keller développe et améliore son invention, et les premières machines sont produites en 1848. Lorsque le brevet doit être renouvelé, en 1852, F.G. Keller n'a pas les moyens de payer sa part. Et c'est ainsi que H. Voelter devient seul propriétaire du brevet et réalise de larges bénéfices grâce à la machine de Keller.
Dès 1860, le bois remplace largement les chiffons comme matériel de base pour la fabrication du papier, et à la fin du 19 siècle, le papier à base de chiffons devient une rareté. Les procédés pour fabriquer du papier à partir de pulpe de bois sont constamment améliorés. Aux procédés mécaniques de Fenerty et Keller succèdent rapidement des procédés chimiques qui permettent d'isoler efficacement la cellulose de l'autre composé principal du bois, la lignine. Le procédé le plus ancien est inventé en 1857 et consiste à traiter le bois avec de l'acide sulfurique ou, plus tard, différents bisulfites et sulfites (de magnésium, calcium, ou sodium). La première fabrique commerciale de papier utilisant la méthode à base de sulfite est inaugurée en 1874 à Bergvik, une village de quelques centaines d'habitants situé en Suède, à 240 km au nord de Stockholm.
En 1879, un certain Carl F. Dahl invente à Danzig, alors en Prusse, un autre procédé, le "procédé Kraft" ou procédé à base de sulfate, pour lequel il obtient un brevet en 1884, et qui est utilisé dès 1890 par une première fabrique de papier, elle aussi en Suède. Avec la méthode Kraft, la cellulose est extraite par traitement du bois à chaud avec un mélange d'eau, d'hydroxyde de sodium, et de sulfure de sodium, appelé "liqueur blanche". Le procédé Kraft produit des fibres de cellulose plus longue, et donc plus robustes, que le procédé à base de sulfite, d'où son nom "Kraft" ("force" en allemand), et il peut être utilisé avec plus de types de bois. Au début des années 30 est inventé le "recovery boiler", qui permet de recycler la "liqueur noire", contenant la lignine du bois traité, pour en refaire de la liqueur blanche. Suite à cette découverte, le procédé kraft devient, dès les années 40, le procédé dominant de fabrication du papier.
De nos jours, le papier produit industriellement est fabriqué dans d'immenses machines, les descendantes de la machine Fourdrinier, qui peuvent atteindre une centaine de mètres de longueur et une dizaine de mètres de largeur. Moins de 10% du papier est fabriqué par la méthode à base de sulfite, et ce pourcentage continue à diminuer.